Nos forêts face aux changements climatiques 

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Les news de la Dza | juillet 2023

PATRICK ECOFFEY, GARDE-FORESTIER

Comme la plupart d’entre vous l’avez certainement remarqué, les changements climatiques n’affectent pas seulement notre quotidien, mais également nos forêts et nos paysages qui sont devant de gros défis. 

En effet, le réchauffement climatique et les déficits hydriques à répétitions font souffrir nos écosystèmes et notamment les arbres qui les composent. Ces derniers deviennent alors plus vulnérables. Certains peuvent dépérir et sécher, comme les hêtres et les sapins et d’autres subissent les affres de ravageurs, tel que le bostryche typographe qui s’attaque aux épicéas. Ou encore des agents pathogènes, tels que la chalarose (chalara fraxinea), qui s’attaque aux frênes. 

1. Qu’est-ce que le bostryche typographe et comment le reconnaître ? 

Le bostryche typographe (le scolyte Ips typographus) est le ravageur le plus important dans les forêts d’Europe centrale et scandinave, dominées par l’épicéa. Les températures plus élevées et les faibles précipitations projetées devraient entraîner une augmentation des dommages causés par les scolytes. 

Cet insecte brun foncé d’environ 5 mm de long colonise presque exclusivement les épicéas. Les mâles partent en pionnier à la recherche de ces arbres. Ils sont attirés par des substances odorantes émanant des tissus corticaux de ces arbres et par les substances sécrétées par leurs congénères (phéromones). Après avoir foré un couloir d’entrée, les mâles, partis en pionniers, aménagent une chambre nuptiale, où se déroulera l’accouplement. Les femelles creusent ensuite des galeries maternelles le long du tronc et y pondent leurs oeufs. Ces galeries et celles creusées plus tard par les larves pour se nourrir forment le réseau typique de cette espèce. 

En quelques semaines, les larves se transforment en nymphes puis en jeunes adultes. Ceux-ci poursuivent leur maturation en forant sous l’écorce pour se nourrir, puis essaiment et cherchent de nouveaux sites de ponte. Ils vont donc se diriger vers d’autres épicéas affaiblis. (WSL, 2022) 

1.1 Les phases de développement du bostryche typographe et les mesures de luttes possibles .

En principe, l’activité du bostryche typographe se déroule dans nos régions d’avril à septembre, en plusieurs vols (larves arrivées à l’état adulte). Au-delà de cette période, ce dernier se réfugie principalement dans la terre. Durant la période estivale, les gardes-forestiers et leurs équipes effectuent des tournées de surveillance. Toutefois, les secteurs à contrôler étant grands et la desserte de base à faible densité, il est donc assez rare de déceler le premier vol, la première génération de bostryches arrivée à maturité. Nous arrivons donc souvent après que les premiers arbres infectés ont été décelés visuellement .

Figure 3 Amas de sciure, signe de rentrer du scolyte 

Ci-contre, un petit amas de sciure brune, indique qu’un bostryche adulte (scolyte) y est entré. Il fore d’abord l’orifice d’entrée pour ensuite développer son réseau de galerie. 

Photo de droite, un stade plus avancé de l’attaque du scolyte. L’écorce est tombée et la couronne de l’arbre est encore verte. Pour déceler les arbres attaqués à ce stade-là, il faut donc passer à proximité de ceux-ci. A noter que la majorité des insectes ne sont plus dans l’écorce, une fois celle-ci détachée de l’arbre. Pour ces épicéas, l’issus a été fatale. L’étape suivante est la coloration brunâtre de la couronne de l’arbre, facilement reconnaissable au loin. C’est donc à ce stade là que la plupart du temps nous repérons les foyers de bostryches. Une fois ces foyers détectés, nous allons abattre les arbres et les évacuer rapidement en dehors de la forêt. A relever que la lutte est inefficace si nous ne pouvons pas évacuer rapidement (2 à 3 semaines maximum dès le moment ou le foyer a été repéré et/ou en fonction du stade de développement de l’insecte) ces bois vers les différents sites de transformations. Si cette logistique ou que l’accès ne le permet pas, nous allons alors abattre, ébrancher et écorcer ces bois sur place. Certaines fois il est également possible de brûler les écorces ou les rémanents.

Figure 4 L’écorce se détache d’épicéas bostrychés 
Figure 5 Epicéas bostrychés (en brun), été 2022 

2. Qu’est-ce que la chalarose du frêne et comment la reconnaître ? 

La chalarose ou dépérissement des pousses du frêne est une maladie fongique venu d’Asie. Elle décime les frênes dans toute l’Europe, y compris en Gruyère. Il n’y a pas de mesure efficace contre la maladie. Nous nous efforçons de conserver tous les sujets viables en pleine forêt, hors de toutes infrastructures (habitations, chemins, sentiers, routes, place de jeux, canapé forestiers, …). Toutefois, lors de présences de d’infrastructures précédemment citées, nous nous devons d’intervenir pour diminuer le risque à ces différents endroits. 

Figure 6 Cycle de la maladie (source Waldwissen.net) 

Comme vous pouvez le constater, la maladie évolue par différents cycles. Selon l’arbre, le développement de celle-ci peut être plus ou moins rapide. 

En général, il est préférable de ne pas attendre le dernier moment pour intervenir. L’arbre est de toute manière condamnée. De plus dès le niveau précédemment la mort du frêne, le risque pour le forestier-bûcheron est très grand. En effet, des morceaux ou parties d’arbres peuvent se détacher et risquer de causer un accident qui peut avoir une issue fatale pour l’opérateur. A relever que malheureusement cette maladie est létale pour les arbres, les spécialistes pensent cas terme environ 1 à 5 % (al., 2016) seulement, des frênes survivront en Suisse. 

Figure 7 Frênes atteints de chalarose, stade 4 et 5 (source : WSL) 

3. Et pendant ce temps-là, que font les forestiers ? 

Les différents points traités auparavant nous occupent considérablement. En effet, en tant que forestiers nous ne sommes pas seulement des « coupeurs de bois ». Nous nous préoccupons surtout de l’état de santé de notre patrimoine forestier ainsi que de sa surveillance et, le cas échéant, de la diminution du risque aux abords des infrastructures. Les points suivants, vous donnerons un aperçu des mesures mises en place par les forestiers. 

3.1 Diminution du risque aux abords des infrastructures.

En vertu de l’art. 58 du Code des obligations (CO), les propriétaires d’ouvrages répondent du dommage causé par un défaut de leur ouvrage ou par un défaut d’entretien, et ce même s’il n’y a aucune faute de leur part. À cet égard, la question de savoir ce qui est exactement entendu par ouvrage et dans quel cas celui-ci présente un défaut est primordiale. 

Dans le contexte de la responsabilité des propriétaires d’ouvrages prévue par le CO, les ouvrages sont des bâtiments ou des constructions ou installations techniques artificielles et stables, ayant un lien durable direct ou indirect avec le sol (p. ex. une construction fixée à deux arbres dans un parc d’accrobranches). En forêt, sont notamment considérés comme des ouvrages les routes et les chemins, les refuges, les foyers, les bancs, les barrières, les canapés forestiers, les entrepôts de bois et toutes autres constructions fixes ou temporaires. Les arbres ne sont en principe pas des ouvrages – sauf s’ils ont un rapport fonctionnel ou spatial étroit avec une construction ou une installation. Les arbres situés à proximité immédiate d’un espace de grillades ou d’une aire de jeux peuvent faire partie de l’ouvrage. 

Selon le Code des obligations, il y a défaut lorsque l’ouvrage n’offre pas une sécurité suffisante pour l’usage auquel il est destiné. Les propriétaires des ouvrages sont donc tenu/es de faire en sorte que l’utilisation de l’ouvrage ne mette en danger ni les personnes ni les biens (devoir de diligence). La question de savoir si un ouvrage présente un vice de construction ou un défaut d’entretien dépend de l’usage auquel il est destiné. Le ou la propriétaire de l’ouvrage est également responsable s’il ou elle n’a pas connaissance du défaut de l’ouvrage. (OFEV, 2021) 

Dans ce contexte-là, nous effectuons donc des tournées de contrôle à intervalles réguliers, qui sont toutes documentées. Dès le moment où nous avons décelé un risque sécuritaire, nous sommes tenus d’effectuer une coupe de diminution du risque sur le site en question. Dans certains cas ces interventions peuvent être importantes et susciter l’incompréhension de citoyens lambda, c’est souvent le cas où la proportion en frêne est très forte et que le stade de la chalarose est trop avancé. Depuis quelques années, ces travaux de coupe occupent grandement les équipes forestières et représentes des charges importantes pour les propriétaires forestiers. De fait, les charges sont toujours supérieures aux recettes engendrées par la vente de ces produits, dans le cas où ceux-ci peuvent être mis à port de camion. 

3.2 Adaptations des forêts au réchauffement climatique.

Le métier de forestier est à la fois complexe et passionnant, il requiert une certaine vision d’avenir et également une vision passée. Effectivement, la vie d’un arbre varie énormément, elle peut aller de 80 à 400 ans selon l’essence et les conditions de vie. Nous récoltons donc les fruits des générations passées et certaines fois également des erreurs, qui autrefois n’en étaient pas forcément. En tant que professionnels de la forêt, nous sommes donc dans de grands dilemmes pour essayer de fournir une forêt forte, résiliente et diversifiée aux générations futures, tout en essayant de ne pas commettre trop « d’erreurs… ». Cette forêt devra également remplir les différentes fonctions qu’elle remplie déjà actuellement, notamment la biodiversité, la protection, le délassement et également la production de bois. Cette production qui est également chère à notre économie locale, forte de différentes entreprises de transformation, main d’oeuvre et savoir-faire. Nous avons donc la mission de fournir à nos successeurs le bois qui construira leurs maisons, outils, jouets, constructions diverses et qui chauffera leurs foyers. Pour arriver à ces objectifs, nous avons plusieurs possibilités qui s’offrent à nous, telles que les conversions de peuplement (par le biais de coupe de bois, et de régénération naturelle) et les plantations. Néanmoins, cette thématique fera l’objet de notre 3ème édition des « News de la Dza »… 

Pour conclure, nous terminerons avec un proverbe Africain : 

« Quand un arbre tombe on l’entend ; quand la forêt pousse, pas un bruit,… » 

Bibliographie 

al., D. R. (2016, 11 07). https://www.waldwissen.net/fr/economie-forestiere/gestion-des-degats/champignons-et-nematodes/deperissement-des-pousses-du-frene. Récupéré sur https://www.waldwissen.net/fr/economie-forestiere/gestion-des-degats/champignons-et-nematodes/deperissement-des-pousses-du-frene: https://www.waldwissen.net/fr/economie-forestiere/gestion-des-degats/champignons-et-nematodes/deperissement-des-pousses-du-frene 

OFEV. (2021). Responsabilité lors d’activités de loisirs et de détente en forêt | Fiche. Responsabilité lors d’activités de loisirs et de détente en forêt | Fiche

SFN, Y. F. (2020, mars). https://www.fr.ch/sites/default/files/2020- 03/brochure%20chalarose%20FR%20light.pdf. Récupéré sur www.fr.ch/sfn. 

WSL. (2022, 04 13). https://www.wsl.ch/fr/foret/maladies-nuisibles-perturbations/organismes-nuisibles-a-la-sante-des-forets/le-typographe.html. Récupéré sur www.wsl.ch. 

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