A Bataille, couper rime avec sécurité.

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La LIBERTÉ | Jeudi 20 juillet 2023

PHOTOS: JEAN-BAPTISTE MOREL

TEXTES : JULIE RUDAZ

Affaiblis par le manque d’eau et malades, de nombreux arbres doivent être abattus. Reportage à Broc.

Au premier coup d’oeil, la forêt qui encercle les ruines du château de Montsalvens ne semble pas si mal en point. Mais le regard expert de Pascal Roschy ne s’y trompe pas. «Ces branches mortes tout en haut, ce sont des frênes malades», explique le garde forestier. En cause, la chalarose, une maladie fongique largement répandue dans le canton et contre laquelle les arbres affaiblis par la sécheresse peinent à se défendre. Plus bas, en bordure de route, le constat est identique: des hêtres, des sapins et des épicéas dépérissent. Hommes et machines s’activent pour évacuer les arbres malades qui, bien que situés en contrebas, pourraient s’effondrer sur l’asphalte et mettre en danger les plus de 6000 automobilistes qui y circulent quotidiennement. «Le champignon qui cause la chalarose s’attaque aux pousses et aux racines des frênes. Ainsi, un arbre peut parfois sembler sain et pourtant tomber d’un seul coup», prévient Pascal Roschy

Opération chirurgicale

Alors que les conducteurs des véhicules à l’arrêt prennent leur mal en patience, la gigantesque pince d’un engin de chantier enserre la cime d’un arbre, la scie et la dépose au pied d’une remorque. Durant cette opération quasi chirurgicale, des branches font entendre un craquement de bois mort. Certaines se brisent et tombent à terre, trop fragilisées par la maladie qui les ronge. Mandatée par la Corporation forestière Moléson, et en collaboration avec le Service des ponts et chaussées et la commune de Broc, l’entreprise Claude Limat SA officie depuis plus d’une dizaine de jours dans le secteur «Bataille». Une zone qui va du pont de la Jogne au replat de Montsalvens, et où serpente la route cantonale sur plus d’un kilomètre. Sur les trois semaines de travaux prévues, ce sont quelque 240 sylves (soit environ 240 m3) qui seront abattues, toutes essences confondues. Les arbres y souffrent comme ailleurs du manque d’eau qui s’est installé en profondeur dans les sols au fil des épisodes de sécheresse (lire cicontre). Si certains tombent malades, d’autres, comme le sapin blanc, finissent tout simplement par mourir de soif.

Bois de chauffage

En principe, seuls les arbres qui représentent un danger pour les infrastructures et leurs usagers sont abattus. Dans d’autres secteurs, ils sont abandonnés à leur sort et s’effondrent naturellement. «Cela fait partie de l’écosystème forestier», indique Pascal Roschy, tout en rappelant qu’une balade en forêt comporte certains risques et qu’il faut y être attentif à ce qui nous entoure. «On nous reproche parfois d’assassiner des arbres, mais en réalité nous intervenons uniquement afin de préserver la sécurité des automobilistes et des promeneurs, et de garantir les fonctions forestières, entre autres d’accueil ou de protection», ajoute-t-il. Une fois à terre, une partie des arbres coupés à Bataille est évacuée par camion jusqu’à Broc, où ils seront valorisés, notamment comme bois de chauffage. «Mais là où cela ne représente pas un danger, ils sont laissés sur place», précise le garde forestier. En se décomposant, ils contribueront à la biodiversité en offrant le gîte et le couvert à différentes espèces, puis alimenteront les sols d’une forêt qui a d’ores et déjà entamé sa mue.

La forêt se régénère

«En dessous des arbres plus anciens ou affaiblis, on constate que des graines d’autres essences, apportées par le vent ou les oiseaux, ont prospéré», explique Pascal Roschy. De petits tilleuls, érables champêtres et à feuilles d’obier ou encore alisiers blancs se tiennent ainsi prêts à prendre le relais de leurs ancêtres qui dépérissent, rendus inadaptés par le réchauffement climatique. Dans ces forêts qui se régénèrent naturellement, «il faut surtout veiller au développement des bonnes essences. On parle de conformité à la station. Un élément qui manquerait par exemple à un Inuit dans le désert», image-t-il. Pour s’en assurer, certains cantons ont choisi de planter des jeunes arbres. Pascal Roschy, lui, préfère laisser faire la nature, convaincu qu’elle saura nous montrer le chemin. «Les étages de végétation tendent déjà à se décaler vers le haut. A terme, les forêts constituées principalement d’épicéas seront remplacées par des forêts de feuillus mélangés. La Dent-de-Broc par exemple n’aura plus le même visage», expliquet-il, en pointant vers la montagne rendue visible par la coupe de Bataille. «Le paysage va changer, et notre génération le verra.»

«IL FAUDRA S’HABITUER À VOIR DES ARBRES DÉPÉRIR DANS LES FORÊTS»

Si les précipitations du mois de mai ont donné un peu de répit à la nature, la sécheresse s’est installée dans les sous-sols forestiers. Résultat: dans le canton de Fribourg, comme ailleurs en Suisse, le nombre d’arbres malades ou morts augmente. «Ce sont principalement les frênes et les épicéas qui font les frais du réchauffement climatique. Il faudra s’habituer à voir des arbres dépérir dans les forêts», prévient Philippe Wohlhauser. En raison notamment du nombre d’arbres touchés et des frais importants que cela engendrerait, il n’est pas envisageable de tous les retirer. Seules des interventions ciblées ont lieu, à proximité des infrastructures, indique le chef de la section forêt et dangers naturels du canton, en mentionnant le soutien financier du Service cantonal des ponts et chaussées. En Gruyère, de nombreuses coupes d’arbres ont eu ou auront lieu cette année pour permettre à la forêt de s’adapter au changement climatique. «Cela concerne des dizaines d’hectares et des dizaines de milliers d’arbres sur le district, dans les forêts protégeant contre les dangers naturels», précise Thierry Pleines, chef du 3e arrondissement forestier. Selon lui, différentes causes expliquent le dépérissement des arbres, qui sont en tous les cas affaiblis par le manque d’eau. En plus des maladies propres à certaines essences, il mentionne l’incidence de pluies acides et du taux d’ozone élevé, qui affecte les aiguilles des conifères. «L’état des sols peut aussi jouer un rôle, puisque bon nombre d’arbres s’approvisionnent largement en eau via les champignons qui s’y trouvent», ajoute-t-il. JR

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